LES ENTREVUES DE 1903-1904
Le 1er mai 1903 - Le président
Loubet accueillant le roi Édouard VII à la gare du Bois de
Boulogne
1904-2004
iL
Y A CENT ANS, L'ENTENTE CORDIALE ...
Extraits
de "Entente cordiale, un rapprochement inspéré." - Marc
Russeil - IEC Éditions - Marseille
2004
1.
DÉFINIR L'ENTENTE CORDIALE
C’est
en 1831 dans la bouche de Lord Palmerston pourtant peu
favorable à la France, qu’apparaît l’expression Entente
cordiale. Guizot dix ans plus tard s’en servira pour
définir les relations entre la France de Louis-Philippe et la
Grande-Bretagne de Victoria. En 1904, il s’agit donc plutôt
d’un renouveau de l’Entente cordiale.
Entendre,
du latin Intedere (être attentif à), avait dès le
XVIIe siècle, le sens d’ouïr en plus de celui de comprendre
. L’Entente, mot qui apparaît au XIIe siècle
était et reste la compréhension mutuelle.
Quant au mot Cordial(e),
son sens est plus clair. Du latin cordialis (qui
part du cœur), il exprime un sens affectueux. L’Entente
cordiale se définit donc comme une compréhension
mutuelle et affective.
2.
ENTRE ENTENTE ET MÉSENTENTE
2 septembre 1843 - Eu
|
La première Entente cordiale
|
Février 1854
|
Traité d'alliance contre la Russie
|
Août 1855
- Paris
|
Visite de Victoria et Albert
|
1860 - Paris
|
Traité de libre échange
|
Novembre 1876
|
Condominium franco-anglais
|
Juillet 1882
- Égypte
|
Fin du Condominium
|
3 novembre 1898 - Fachoda
|
Abandon de Fachoda
|
1er mai 1903
- Paris
|
Visite d'Édouard VII
|
6 juillet 1903 - Londres
|
Visite d’Émile Loubet
|
8 avril 1904
- Londres
|
Accords du 8 avril 1904
|
Janvier-avril 1906 - Espagne
|
Conférence d’Algésiras
|
1908 - Londres
|
Exposition franco-britannique
|
1er août 1914
|
Première Guerre Mondiale
|
3.
LA PREMIÈRE ENTENTE CORDIALE
2
Septembre 1843
Faisant suite à la convention
des détroits signée à Londres en 1841, la rencontre
officielle à Eu entre Victoria alors âgée de 24 ans et
l’anglophile septuagénaire Louis-Philippe, inaugura une ère de
rapprochement entre la France et la Grande-Bretagne.
Á bord de son yacht
« Victoria and Albert » au large du Tréport, la
jeune reine accueillit le roi des Français accompagné de ses
deux fils. Dans la soirée, la reine fut reçue triomphalement
au Château d’Eu, résidence d’été du souverain français. De
cette entrevue familiale, Victoria écrira dans son fameux
journal : « Je suis à l’aise avec eux, comme si j’étais
en famille ». C’était la première fois que Victoria
sortait de son île.
Guizot et
Louis-Philippe avait remarqué dans une correspondance entre
Lord Aberdeen et le Comte de Jarnac, l’emploi de l’expression
« Entente cordiale ». Ils décidèrent de
l’insérer dans le discours au trône. Ainsi, ouvrant la séance
des Chambres, Louis-Philippe exprimera la « sincère
amitié qui l’unissait à la reine de la Grande-Bretagne (…) et
la cordiale entente établie » entre les deux
gouvernements.
4.
VISITE DU ROI ÉDOUARD VII À PARIS
1er au 4 mai 1903
En mai 1902, la paix
signée entre l’empire britannique et les Boërs marqua la fin
relative d’une anglophobie poussée à son paroxysme lors de la
rémission de Fachoda en novembre 1898. En Grande-Bretagne, on
cherchait des alliances sur le continent européen. On tentait
maintenant de rapprocher les opinions publiques de part et
d’autre de la Manche.
Au début du printemps
1903, Édouard VII émit le projet de s’arrêter à Paris lors de
son voyage prévu au Portugal et en Italie. Le 1er mai, Sir
Edmund Monson, l’ambassadeur de Grande-Bretagne l’attendait en
gare de Dijon. Le train royal arriva en début d’après-midi en
gare du Bois de Boulogne attendu par une foule conséquente et
curieuse. Après les honneurs rendus, le cortège des chefs
d’état se mit en marche en direction de l’ambassade
britannique.
Édouard VII et Émile
Loubet remontèrent l’avenue du Bois - aujourd’hui avenue Foch
- puis
descendirent l’avenue des Champs-Élysées étrangement nue de
décoration spéciale. Après avoir emprunté le rond-point de la
Concorde, le roi et le président s’engagèrent dans la rue
Royale, puis la rue du Faubourg-Saint-Honoré où se trouve
l’ambassade de Grande-Bretagne. Tout le long du cortège, les
badauds gardèrent une attitude froide et indifférente. Le roi
avait revêtu pour cette occasion son uniforme de général, une
tunique rouge, la même que celle du général Kitchener,
« vainqueur » à Fachoda. On entend ici ou là
quelques cris : « Vive les Boërs ! », « Vive
Marchand ! ».
Alors que le cortège
est passé et que les spectateurs se dispersent, un incident
fut relaté rue de Rivoli : la foule cria « Vive
l’Armée ! » en y associant le nom de Jeanne d’Arc (Le
Gaulois du 2 mai 1903). Le représentant du Foreign
Office, Sir Charles Harding et Théophile Delcassé, le ministre
des affaires étrangères sont consternés. Le roi resta de
marbre et continua de saluer à droite, à gauche. Arrivant à
l’ambassade, il fera la remarque suivante : « Les
Français ne nous aiment pas … Mais pourquoi nous
aimeraient-ils ? ».
Après un discours
prononcé à la Chambre de commerce britannique où il exprima le
plaisir qu’il avait de retrouver Paris, le roi, accompagné du
président Loubet, choisit le soir d’assister à une
représentation au Théâtre-Français. On devait y jouer L’Autre
danger de Maurice Donnay, alors que le Protocole avait
prévu Le Misanthrope . « Ah ! Non s’exclama
le roi, j’ai vu dix fois Le Misanthrope au Français; il ne
faut tout de même pas me traiter comme le Shah de Perse
… ».
Durant le rapide
trajet, on entendit encore des cris hostiles au souverain. Au
théâtre, la public fut particulièrement glacial malgré la
présence d’un président de la République pétrifié. Édouard VII
garda à nouveau son habituel flegme : « Il m’a semblé
entendre quelques sifflets... confira-t-il le lendemain au
chef du Protocole. Mais non… Je n’ai rien entendu… Je n’est
rien entendu... ».
À l’entracte, le roi
quitta sa loge à la rencontre de cette foule défavorable
« avec la ferme volonté de gagner ces gens
hostiles » (André Maurois). Il aperçut Jeanne Granier,
jeunes actrice française revenant d’une tournée en Angleterre
et lui déclara : « Mademoiselle, je me rappelle vous
avoir applaudie à Londres. Vous y représentiez toute la grâce
et tout l’esprit de la France ».
« La bonne humeur
du roi, le souvenir ému de sa jeunesse, son désir de plaire
avaient raison de toutes les mauvaises humeurs, et même de
toutes les raisons diplomatiques de haïr l’Angleterre, écrira
Léon Lemonnier ».
Le lendemain, 18000
hommes défilèrent en revue devant le roi à Vincennes. Il mit
beaucoup de soin à saluer chaque drapeau qui passait. Les
acclamations que lui faisait la foule devenaient incessantes.
L’hôtel de ville de
Paris était sa prochaine étape. Lors de la réception, il y
prononça un court discours. « Je n’oublierai jamais la
visite à votre charmante cité, et je puis vous assurer que
c’est avec le plus grand plaisir que je reviens à chaque fois
à Paris, où je suis traité exactement comme si j’étais chez
moi ».
Le roi reçut ensuite à
l’ambassade plusieurs de ses amis français : le général
Galliffet, le duc de la Force, le marquis de Jaucourt ou
l’amiral Duperré.
L’après-midi, Édouard
VII alla aux courses, comme à son habitude. Celles-ci étaient
organisées par le Jockey Club selon son désir. Le soir, il y
eut un banquet à l’Élysée.
« Je suis content
de cette occasion qui (…) contribuera à l’amitié de nos deux
pays, dans leur intérêt commun, y déclara le roi au président
Loubet ». La soirée se termina par un gala à l’Opéra.
Le matin, Édouard VII
se rendit à la messe anglicane avant d’être invité à déjeuner
au Quai d’Orsay par le ministre des Affaires étrangères,
Théophile Delcassé. Il y rencontra les personnalités
politiques françaises les plus importantes.
Le soir, une soirée de
gala était prévue à l’ambassade de Grande-Bretagne. L’ancien
hôtel de Pauline Borghèse brillait de mille feux. Entre les
discussions amicales, on y buvait les meilleurs vins, comme un
Château-Margaux 1877 accompagnant des poulardes de Bresse, des
côtelettes de pintade « à la George IV ».
C’est une foule
compacte qui acclama le roi d’Angleterre faisant route vers la
gare des Invalides. Avant de s’embarquer à Cherbourg pour
Portsmouth, Édouard VII envoya un télégramme au président
Loubet : « avant de quitter le sol français, je désire
vous remercier encore une fois très chaleureusement pour
l’accueil amical que vous et votre gouvernement et le peuple
m’ont accordé en France, et pendant mon séjour à Paris, dont
le souvenir ne s’effacera jamais de ma mémoire ».
Dans une note adressée
pour lui-même, Delcassé remarquera que « c’est le roi, le
roi seul, qui a conçu le projet de visite à Paris ». Le
roi de l’Entente cordiale avait réussi son pari !
5.
VISITE DU PRÉSIDENT LOUBET À LONDRES
6
au 9 juillet 1903
Le 6 juillet, le
président Loubet rendit la visite au roi Édouard VII. À son
arrivée à Londres, il fut surpris par l’accueil enthousiaste
qui lui était réservé par la population. Partout des
inscriptions lui souhaitaient la bienvenue; pour traduire
« Long life the president », on avait écrit :
« Vive le long président ! ». Le soir, le roi et la
reine l’invitèrent à un dîner d’apparat à Buckingham. Le roi
dans son discours évoqua non plus l’amitié mais l’affection
entre les deux pays.
Le lendemain, après
une visite à l’hôpital français, le président assista à un
banquet au Guildhall. Devant un parterre de
personnalités, le lord-maire Marcus Samuel lui remit un
coffret d’or, signe d’une amitié durable. Le soir, un dîner en
l’honneur du roi était organisé à l’hôtel de l’ambassade de
France. Le 8 juillet au matin, Émile Loubet visita Windsor,
puis se rendit à Aldershot pour une revue militaire en son
honneur.
Lord Lansdowne invita
le soir le président français et sa suite à un dîner dans sa
propriété de Berkeley Square, en présence notamment du premier
ministre Balfour. La soirée se termina par le bal de la cour,
le premier depuis l’avènement d’Édouard VII. Le roi avait
demandé que le président français portât la culotte courte et
les bas, afin qu’il puisse lui conférer l’Ordre de la
Jarretière. Le président refusa prétextant son âge. Le roi ne
voulut-il pas avec humour culotter un sans-culotte ?
Le 9 juillet, le
président Loubet reprit le croiseur Guishen pour
Calais sous les acclamations de la foule.
1903 réalisa l’Entente
cordiale.
1904 l’officialisera.
6.
L'ACCORD
8
avril 1904
En marge des visites
d’État, des mondanités et des réceptions, les négociations
pour régler les différends diplomatiques avaient repris entre
Delcassé, lord Lansdowne et Cambon, sous l’œil approbateur de
Joseph Chamberlain, l’homme fort de la Grande-Bretagne, et
néo-francophile de marque.
L’accord signé à
Londres, stipula que les Anglais renonçaient au Maroc et que
les Français faisaient de même pour l’Égypte. L’Espagne devait
être consultée, les ports marocains ouverts au commerce et
Tanger laissée libre. Problème annexe également réglé par les
diplomates : Terre-Neuve. Depuis le Traité d’Utrecht en 1713,
les Anglais étaient maîtres de Terre-Neuve et avaient autorisé
les Français à y pêcher des poissons sur certaines parties de
la côte. Le homard, crustacé à la mode au début du siècle,
n’avait alors pas été évoqué. D’où une interdiction faite aux
pêcheurs français de s’approvisionner en boëtte, poisson
servant d’appât pour le homard. Les différends sur le Siam,
Madagascar et les Nouvelles-Hébrides furent réglés également.
La Chambre des
communes à Londres, et plus difficilement, la Chambre des
députés à Paris, entérineront cette convention.
L’Entente cordiale
avait pour objectif la paix. En anglais, l’accord de
1904 est traduit par the anglo-french agreement.
Davantage que le Royaume-Uni, c’était avec l’Angleterre donc,
l’ennemie héréditaire, que la France eût à resserrer ses liens
d’amitié. Les deux nations avaient raté ce rendez-vous au
Camps du Drap d’Or en 1520 et durant toute l’histoire moderne.
En 1843, l’Entente cordiale n’avait été qu’un hors-d’œuvre.
Cette fois-ci, la France et l’Angleterre allaient traverser
les épreuves du siècle ensemble.
Pourtant, la
convention de 1904 n’était pas un traité d’alliance. Elle
était bien plus encore !
Copyright
© Institut Entente Cordiale - Marc Russeil 2004
© Institut
Entente Cordiale 2020. Design: HTML5